LES GARDES DU CORPS DE MACAO : LA RECONVERSION EST LE COMBAT LE PLUS DUR POUR UN COMBATTANT DE MUAY THAI !
LES GARDES DU CORPS DE MACAO :
LA RECONVERSION EST LE COMBAT LE PLUS DUR POUR UN COMBATTANT DE MUAY THAI !
BY SERGE TRÉFEU
Dans les années 90, des grands champions de Muay Thai en Thaïlande ont su transformer leur succès sur le ring en prospérité financière. En investissant leur argent dans des entreprises rentables, ils ont assuré un avenir stable pour leur famille après la fin de leur carrière sportive.
Ce parcours exemplaire n’a toutefois pas été accessible à tous les boxeurs. Beaucoup, après avoir consacré leur vie à l’entraînement et aux compétitions, se retrouvent sans ressources suffisantes pour vivre confortablement une fois leur carrière terminée.
Face à ces perspectives, nombreux sont les boxeurs qui ont tenté leur chance à l’étranger pour devenir entraîneurs. En enseignant leur art en dehors de la Thaïlande, dans des pays comme le Japon, les États-Unis, et plusieurs nations européennes, certains ont réussi à améliorer considérablement leur situation financière.
Ce choix a permis aux meilleurs d’entre eux de continuer à vivre de leur passion tout en profitant de revenus bien plus élevés, dans des pays où le Muay Thai était en pleine expansion et où l’engouement pour les techniques traditionnelles thaïlandaises attirait un large public de pratiquants.
Certains anciens boxeurs de Muay Thai ont saisi l’opportunité de travailler à Macao, célèbre pour ses casinos et son ambiance électrique autour du jeu et du divertissement.
Macao, souvent surnommée le “Las Vegas de l’Orient”, a attiré des milliers de visiteurs venus tenter leur chance, créant une forte demande pour la sécurité dans ce milieu de grande affluence et de transactions financières considérables.
Les propriétaires de casinos et de clubs à Macao ont donc mis en place une filière de recrutement pour ces ex-combattants, dont les compétences en combat faisaient d’eux des candidats parfaits pour des postes de protection.
Nombre d’anciens champions de Muay Thai ont ainsi trouvé une nouvelle voie en tant que portiers, gardes du corps ou responsables de sécurité, un rôle respecté et bien rémunéré dans cet environnement du jeux d’argent et de hasard.
Dans les années 90, Macao était un haut lieu de l’industrie des jeux, majoritairement contrôlé par la mafia chinoise. Celle-ci supervisait non seulement les casinos, mais aussi de nombreuses autres entreprises lucratives, comme les magasins d’alcool et les boîtes de nuit. Dans cet univers où le pouvoir et l’influence étaient souvent protégés par des forces redoutables, la mafia chinoise avait une forte inclination pour l’embauche de boxeurs thaïlandais expérimentés en Muay Thai.
La réputation du Muay Thai en Asie était alors à son apogée, réputée pour être l’art martial le plus violent et le plus efficace. À cette époque, le MMA et les combats de style “free fight” n’avaient pas encore atteint la notoriété mondiale d’aujourd’hui. La discipline thaïlandaise incarnait un savoir-faire martial redoutable, et un combattant professionnel de Muay Thai était perçu comme un homme capable de gérer des situations complexes et de désamorcer les conflits de manière rapide et décisive.
Ces ex-boxeurs devenaient ainsi les hommes de main idéaux, considérés non seulement pour leurs capacités physiques, mais aussi pour leur calme et leur discipline, deux qualités essentielles dans ce milieu où l’ordre devait être maintenu sans failles.
Dans les années 80 et 90, les nuits à Macao avaient une réputation sulfureuse et dangereuse. Alors sous administration portugaise, Macao était un territoire où les triades chinoises exerçaient une influence omniprésente, notamment la tristement célèbre Triade 14K, dirigée par Wan Kuok-koi, surnommé “Dent cassée”.
Sous son règne, les activités illégales prospéraient, de la gestion des tripots aux bordels en passant par des commerces de grande envergure. La Triade 14K était alors le gang dominant de Macao, et ses activités s’étendaient même à Hong Kong, où les triades contrôlaient des pans entiers de l’économie nocturne et illicite.
Le rôle de Macao changea radicalement après la rétrocession à la Chine en 1999. Le gouvernement chinois s’engagea à éradiquer l’influence des triades. Ce tournant marqua la fin de l’ère des gangs dans cette ancienne colonie portugaise, et le visage de Macao se transforma pour devenir un centre touristique et financier sous surveillance stricte, très éloigné de l’époque où la criminalité régnait en maître.
À Macao, dans les années 80 et 90, les nuits étaient tumultueuses. Les jeunes éméchés et les parieurs en colère, après avoir perdu leur argent dans les casinos, créaient souvent des scènes de chaos dans les rues. Ils harcelaient les passants, provoquaient des disputes avec les vendeurs de boissons et perturbaient les travailleuses de nuit.
Pour contenir ce désordre, les établissements de la ville faisaient appel à des boxeurs thaïlandais, respectés pour leur maîtrise du Muay Thai, afin de calmer les fauteurs de trouble. Embauchés par les patrons des casinos, des boîtes de nuit et des tripots, ces boxeurs recevaient un salaire très attractif de 50 000 à 60 000 bahts par mois (Salaire moyen en Thailande 15 000 bahts), bien supérieur à ce qu’ils pouvaient espérer en Thaïlande.
Si gérer des clients ivres était déjà un défi, leur rôle devenait bien plus périlleux lorsqu’ils devaient affronter des membres de gangs. En effet, certaines triades embauchaient ces combattants pour renforcer leurs rangs, et il n’était pas rare que des boxeurs thaïlandais se retrouvent à s’affronter entre eux pour défendre des intérêts rivaux.
Ces luttes, où des boxeurs expérimentés se trouvaient des deux côtés, ajoutaient une tension palpable dans les nuits de Macao, renforçant l’image redoutable de cette ville.
Dans les années 90 et au début des années 2000, Macao a attiré plus d’une cinquantaine de boxeurs thaïlandais de haut niveau, venus pour travailler dans la sécurité des casinos et autres établissements nocturnes de la ville.
Ces boxeurs étaient confrontés à des altercations souvent brutales avec des gangs de rue, parfois armés, qui cherchaient à imposer leur pouvoir ou à provoquer des gangs rivaux. Les affrontements dégénéraient fréquemment en violences sanglantes, impliquant parfois des armes blanches, et plusieurs boxeurs thaïlandais ont été gravement blessés, nécessitant des séjours à l’hôpital. Ces combats reflétaient aussi la violence interne des triades chinoises, qui ne se faisaient pas de concessions, menant souvent des membres de gangs à des issues fatales. Le taux d’homicides à Macao, dans les années 90, était extrêmement élevé.
Une communauté thaïlandaise s’est alors formée dans le quartier de Yi Ma Lo, devenu le « quartier thaï » de Macao, où les boxeurs se regroupaient et trouvaient des repères culturels et sociaux.
Le quartier abritait des restaurants thaïlandais et constituait un lieu de rencontre pour ces expatriés, qui cherchaient un peu de réconfort en dehors de leurs engagements nocturnes risqués.
Pour beaucoup, ce quartier représentait un espace où ils pouvaient maintenir des liens forts avec leurs racines, tout en trouvant un soutien communautaire face aux dangers de la ville.
Parmi les champions thaïlandais qui ont marqué les années 90, Cherry Sor Wanich, Dokmaypa Por Pongsawang, Rajasak Sor Vorapin, Rainbow Sor Prantalay, et Kasemlek Kiattisiri font figure de légendes. Ces combattants ont cumulé des sommes impressionnantes grâce à leurs victoires, avec des primes atteignant jusqu’à 200 000 bahts, une somme remarquable pour l’époque.
Cependant, malgré leurs succès, la plupart n’ont pas su préserver leur argent et se sont retrouvés sans fortune à la fin de leur carrière. Pour certains, Macao est alors apparue comme une nouvelle opportunité, bien que risquée, pour se stabiliser financièrement.
Le premier à franchir le pas a été Cherry Sor Wanich, arrivé en 1994, qui est devenu garde du corps pour le fils d’un important parrain des triades locales. Cherry Sor Wanich a payé un lourd tribut pour son rôle de garde du corps à Macao. Exposé aux altercations violentes qui rythmaient les nuits de la ville, il a été blessé à plusieurs reprises. Il a persévéré dans cette carrière pendant près de dix ans, contribuant à la sécurité de ses employeurs au sein des cercles fermés et souvent périlleux de la ville…
Son parcours a ouvert la voie aux autres champions : Dokmaypa l’a rejoint en 1996, puis Rajasak et Rainbow en 1997, suivis de Kasemlek en 2001.
Dokmaypa, Rajasak et Rainbow ont travaillé en tant qu’agents de sécurité dans les casinos de Macao, où la nuit était souvent agitée. Kasemlek, quant à lui, assurait la sécurité d’un tripot qui restait ouvert tard, servant de l’alcool jusqu’au petit matin.
Dokmaypa Por Pongsawang et Rainbow Sor Prantalay, véritables titans du ring, ont souvent mis leur redoutable punch au service de leur travail de sécurité à Macao. Leur force de frappe, qui leur avait permis d’accumuler les victoires par KO sur les rings, s’est avérée un atout pour gérer les fêtards récalcitrants et ivres qui menaçaient l’ordre dans les établissements nocturnes. Ces deux puissants combattants n’hésitaient pas à recourir à leur technique de poing, redoutée et maîtrisée, pour calmer les esprits échauffés, confirmant leur réputation de frappeurs aussi implacables en dehors du ring que dans l’arène.
Ces anciens champions se sont forgé une nouvelle vie dans cet environnement complexe, mêlant risque et adaptation, tout en utilisant leurs compétences de combattants pour protéger leurs employeurs dans une ville où la nuit réservait bien des surprises…
Palmarès des champions thaïlandais :
Cherry Sor Wanich
Originaire du village de Khok Klang près de Nong Ruea, dans la province de Khon Kaen, Cherry est une légende vivante du Muay Thai.
Surnommé « Khun Khao Chalamdam » (le coup de genou du requin noir), il était célèbre pour son style Muay Khao (spécialiste des coups de genou), particulièrement redoutable sur le ring.
Le mardi 25 juillet 1989, Cherry a remporté le titre prestigieux du Lumpinee en 130 lbs lors d’un événement de renom organisé par le promoteur Songchai Ratanasuban.
Dans ce combat mémorable, il a affronté Saencheung Pinsinchai, surnommé « Manut Hin » (l’homme de pierre), qui était déjà double champion du Lumpinee en 115 et 122 lbs. Dans un duel intense, Cherry a dominé aux points, remportant ainsi la ceinture tant convoitée.
Quelques mois plus tard, le 31 décembre 1989, Cherry a impressionné le public international en France, lors d’un événement à la Halle Carpentier, retransmis en direct à la télévision thaïlandaise.
En une seule soirée, il a affronté et vaincu deux champions français de renom : Jo Prestia, qu’il a battu aux points en trois rounds, suivi de Joël César, défait aux points après deux rounds supplémentaires.
Cherry Sor Wanich a marqué l’âge d’or du Muay Thai en battant certains des plus grands noms de sa génération :
Samransak Muangsurin, Namphon Nong Kee Pahuyuth, Saencheung Pinsinchaï, Chanchai Sor Thamrangsee, Superlek Sor Isaan (KO), Thedkiet Sitthepikat, Jaroenthong Kiatbanchong, Orono Por Muang Ubon, Oley Kiatnoneway (KO), Boonlay Sor Thanikul, et bien d’autres.
Aujourd’hui, Cherry a choisi de vivre loin du tumulte des rings et du monde de la nuit, retrouvant le calme de sa région natale de Khon Kaen, en Thaïlande.
Dokmaypha Por Pongsawang
De son vrai nom Chamnian Moonkasorn, Dokmaypha est un nom emblématique du Muay Thai, issu du village de Selaphum dans la province de Roi Et, une région du nord-est de la Thaïlande.
Connu pour son style combatif acharné, Dokmaypha était également réputé pour son fracassant High Kick jambe gauche, qui a fait de lui un adversaire craint sur le ring.
Son surnom, « Saytokop » (la jambe gauche extrêmement puissante), lui a été attribué après avoir expédié un adversaire hors du ring avec un puissant coup de tibia.
Dokmaypha a brillé dans les années 80 et 90, remportant la ceinture du prestigieux stadium du Lumpinee dans deux catégories de poids : 112 lbs et 115 lbs.
Sa première victoire en 112 lbs a eu lieu en 1987 contre la star Burlek Pinsinchai, suivie d’un autre titre en 115 lbs en 1988, où il a battu Wisanupon Saksamut.
Durant sa carrière, il a affronté et battu plusieurs stars du Muay Thai, dont Oley Kiatoneway, Burlek Pinsinchai, Wangchannoi Sor Palangchai, Saichon Pichit, Boonlay Sor Thanikul, Samranthong Kietbanchong (KO), Rainbow Sor Prantalay (KO), Karuhat Sor Supawan, Nungubon Sitlerchai, Kaensak Sor Ploenchit, Jaroensap Kiatbanchong, Yodkhunpon Sittraiphum.
Dokmaypha était connu pour sa technique affûtée et sa puissance de frappe, avec des KO mémorables face à des combattants redoutables tels que Samranthong Kietbanchong et Phedam Chuwattana.
Malheureusement, Dokmaypha nous a quittés le 7 octobre 2020, à l’âge de 52 ans, victime d’une infection sanguine causée par le venin d’un insecte…
Rajasak Sor Vorapin
Rajasak est originaire du village de Chamni dans la province de Buriram (région nord-est de la Thaïlande), ce grand champion est connu pour ses techniques dangeureuses et sa carrière impressionnante.
Surnommé « Khun Khao Laweeyan » (le coup de genoux mortel ou le coup de genoux de la faucheuse), Rajasak a accumulé près de 300 combats tout au long de sa carrière, laissant une empreinte indélébile sur la scène du Muay Thai dans les années 90.
Rajasak a su se distinguer en remportant le titre du prestigieux stadium du Radja dans trois catégories de poids différentes :
115 lbs en 1989, où il a battu Ekapol Chuwatthana
122 lbs en 1990, avec une victoire contre Phadesuek Kiatsamran
126 lbs en 1991, en triomphant de Chamophet Ha Phalang
Son palmarès est remarquable, avec de nombreuses victoires contre certains des meilleurs champions de l’époque, tels que Jaroenthong Kiatbanchong, Pannarin Sor Suwanphakdi, Thedkiet Sitthepikat, Padedseuk Kietphayathai, Banluedej Lookprabaht, Jongrak Lookprabaht, Langsuan Phanyutthaphum, Robert Kaennorasing, Chamophet Ha Phalang, Dennuah Denmoree.
Ses affrontements étaient souvent spectaculaires, marqués par son puissant coup de genoux, qui lui a valu sa réputation de redoutable adversaire.
Aujourd’hui, Rajasak a pris un tournant dans sa carrière et est devenu entraîneur au sein du camp Phetsithong, situé à Pathum Thani, une ville à environ 40 km de Bangkok. En tant qu’entraîneur, il transmet son savoir-faire et son expérience aux jeunes boxeurs, continuant ainsi de contribuer au développement du Muay Thai en Thaïlande.
Rainbow Sor Prantalay
Rainbow est originaire du village de Khong Kut Wai dans la province de Maha Sarakham (région du Nord-Est), était un combattant connu pour sa puissance et sa férocité sur le ring.
Surnommé “Rung Phikhat” (Rainbow le destructeur) et « Krabeu Diya » (Le buffle tête de mule), Rainbow a marqué les esprits par son style combatif agressif et sa capacité à infliger des coups dévastateurs.
Formé dans le célèbre camp Sor Prantalay, il a d’abord combattu sous le nom de Plai Chumphon Sor Prantalay. C’est le promoteur renommé Songchai Ratanasuban qui lui a attribué le nom de « Rainbow » (l’Arc-en-ciel).
Au cours de sa carrière, Rainbow a atteint le sommet de son art en étant classé N° 1 au stadium du Lumpinee. Il a affronté et battu de nombreux champions de haut niveau tels que Sannapanoi Sor Rungroj, Noppadet Sor Rewadee, Jompoplek Sor Sumalee, Superlek Sor Isaan, Boonlung Sor Thanikul (KO), Mathee Jediphithak, Nampon Nongkheepahuyut (KO), Den Muangsurin, Panomtuanlek Ha Phalang (KO), Theerapong Sit Korayuth (KO) !
En 1996, Rainbow a remporté la ceinture de champion d’Europe dans la catégorie des – 67 kg contre le redoutable champion Christian Garros. Il a également triomphé face à l’illustre champion français Guillaume Kerner et a gagné une ceinture de champion en Hollande en Kick Boxing.
En 2024, Rainbow a ouvert sa propre salle de boxe, le « Bowna Muay Thai Gym », située près de l’Université Rajamangala à Bangkok.
Kasemlek Kiattisiri
Kasemlek, surnommé « Seua Chaweng » (Le tigre de Chaweng), est un grand champion de Muay Thai originaire du village de Chaweng, dans la région de Nakhon Si Tammarat.
Il a été formé dans le célèbre Singmanee Gym, le camp du légendaire Hippy Singmanee, situé à Thung Song. Par la suite, Kasemlek a poursuivi sa carrière au sein du Quality Gym, où il a continué à perfectionner ses compétences.
Kasemlek est particulièrement reconnu pour son habileté technique et son intelligence sur le ring. Il a remporté la ceinture du Radja dans la catégorie des 115 lbs et a également été le vainqueur du prestigieux tournoi Antacil en 118 lbs, un tournoi sponsorisé par la marque Antacil, un médicament contre les maladies gastro-intestinales.
Tout au long de sa carrière, Kasemlek a affronté et battu plusieurs grands champions. Parmi ses victoires notables, on trouve des adversaires tels que Sukhothai Taximeter, Burlek Pinsinchai (KO), Thaïlande Pinsinchai, Pairojnoi Sor Siamchai, Phanphet Muangsurin, Sibtip Lukbanyai, Phongpayak Thammakasem, et Jompoplek Sor Sumalee.
Sa victoire la plus mémorable est survenue en décembre 1995, lorsqu’il a remporté sa ceinture au stadium du Radja en battant Saenchoeng Shinawatra aux points.
Aujourd’hui, Kasemlek vit dans le sud de la Thaïlande avec sa famille.